Minuit passé. Mis à part les agaçantes suppliques de quelques malheureux hoothoots, perchés aux alentours, ne résonnait rien d'autre dans la maison que le frottement nerveux et irritant du crayon sur le papier. Assise à la table de la cuisine, le nez plonger dans ce que l'on appellerait communément, de la paperasse, Terry ne dormait pas, non, une femme de son acabit, avec emplois du temps aussi chargé que le sien ne pouvait se permette d'aller au lit à la même heure que toutes ces boniches indubitablement crétines de mères au foyer. Oui, Thereheaf Lanns, a.k.a. Terry, mère célibataire, maigrement assistée par les très, très grosses sommes d'argent que lui envoie mensuellement le père de son boulet, pardon, de son enfant, était une femme active ! Un model à suivre, une fière représentante des porteuses de vagins du vingt-et-unième siècle. Comment ? Quel genre de travail pouvait bien lui prendre autant de temps ? Mais ... mais cela ne vous regarde en rien, malappris, malandrin, pervers maniaque, cessez donc d'épier ainsi la vie d’autrui !

« Maman ... »

Debout dans le couloir sombre, à demi éclairée par le filet de lumière qui s'évadait par l'entrée de la cuisine grâce à la porte laissée grande ouverte ... Flannchadh. Les pieds nus de l'adolescente clapotaient sur le parquet à un rythme saccadé, infligeant aux tympans de sa mère, une cacophonie reflétant toute la problématique de cette situation.

« ... j'arrive pas à dormir. »

« Pas mon problème. »

Lâcha la femme sans daigner extirper la figure de ses documents et autres feuilles libres. Seulement voilà, sa progéniture de bougeait pas. Elle restait là, debout, talons dans le couloirs, orteils dans la cuisine, laissant ramper un meuglement de peine le long de sa gorge. Au matin Flann' quitterait le logis et s'élancerait sur les routes de Johto, elle deviendrait dresseur. Une grande décision, qui impliquait autant de conséquences que de changements. Mais il était hors de question de la consoler, pas ici, pas maintenant, il était bien trop tard pour exprimer le moindre doute, le moindre regret ... pourtaaant, ça n'était pas dans les habitudes de Flann' de réaliser l'arrivée imminente d'un bouleversements, encore moins d'en être perturbée au point de ne pas trouver le sommeil ! Car s'il y a bien une chose qu'elle aimait encore plus qu'un sandwich à la confiture et au steak, c'était dormir. Dormir, dormir, dormir encore et toujours dormir. Et la voir ainsi, incapable de palper le sommeil, l'instinct maternel de Terry s'en voyait violemment titillé. Elle n'avait qu'une envie, tendre les bras et demander à sa crétine de création de venir lui faire un gros, très gros câlin. Mais non. En bonne ex-dresseuse, elle avait passé les quatre dernières semaines à lui apprendre les ficelles du métier, les propriétés de chaque type, les effets de chaque objet. Tant et si bien qu'après tous ces efforts, elle s'était jurée que le jour du départ, elle cesserait de se soucier de quoi que ce soit, qu'elle ferait simplement confiance à son éducation, et à Flann'. Et il était minuit passé, aujourd'hui était le jour du départ.

« ... »

« Viens t’asseoir. »

ÉCHEC ! Mais que pouvait bien valoir les résolutions d'une femme d'aujourd'hui face à la puissance de l'instinct maternel, cette saleté était as old as fuck ! Tirant la chaise voisine à la sienne, elle fit signe à la brunette de venir y déposer son arrière train, préparant ainsi le terrain pour une longue conversation, elle admira les sautillements de Flann' qui se dépêchait d’obéir à ses ordres.

« Bon ... qu'est-ce qui t'empêche de dormir ? »

« Madame Lopez ! Je crois qu'elle est triste que j'parte ... elle se penche au-dessus d'mon lit et elle me fixe ... »

« ... »

Un long silence, et les yeux exorbités d'un lipoutou qui reluisent dans la pénombre du couloir.


« Humf ! »

L'oeil crasseux, plissé, la face écrasée par les feuilles d'un énormes tengalice, Flannchadh déguste, l'air indécise, la bave pâteuse qui lui coule aux coins des lèvres. Le matin est là, chantant, rayonnant, il viole impunément ses volets et illumine sa chambre. Doucement, la gamine s'étire alors que le pokémon qui vient de la réveiller sort de la pièce en grognant.

« Ten, rhrrrtengagrrr, galice, tenghrrrrrrralice ... rhrrr ... »

« Ah, merci Jeff ... »

Jeffrey, malgré le statut de cousin ronchon que lui attribuait Flann', était le tengalice de Maman. Il était d'ailleurs très rare que cette dernière quitte la maison sans lui, peut-être était-elle encore là, pensa Flannchadh en repoussant mollement la couette qui lui faisait dangereusement de l'oeil.

« ... M'MAAAAN ? »

Errant entre les pièces, traînant des pieds, se frottant un coup les yeux, un coup le derrière, la brunette constata avec évidence que, non, maman n'était plus là. Elle passa ses deux mains dans l'impressionnante tignasse qui lui surplombait le visage, bien entendu elle ne prendrait pas la peine d'arranger ces effroyables épis du matin, la gravité s'en chargerait pour elle. Aussi décida-t-elle de se diriger vers la cuisine, où Jeff s'appliquait à la préparation d'un sandwich. Flann' grimaça ... les sandwich de Jeff n'étaient pas mauvais, loin de là, seulement ceux de madame Lopez étaient tout simplement incomparables, ils portaient entre chacune de leurs tranches, le savoureux parfum de son enfance ... ou peut-être que c'était seulement ce truc bizarre qu'elle ajoutait, ce truc qui sort de son ... enfin bref. Madame Lopez semblait elle aussi manquer à l'appel. En vérité, après une lutte acharnée, Terry avait réussi à la rappeller dans sa pokéball et avait laissé à Jeff le soin de s'occuper de Flann' aujourd'hui. Devinant son lipoutou bien trop attachée à l'adolescente pour la laisser prendre la route sans aucune effusion de larmes elle avait préféré annuler leur scène d'adieux. La principale intéressée ne se doutait et ne se douterait sans doute jamais du drame qui s'était déroulé dans cette cuisine alors qu'elle ronronnait encore, là haut, perchée dans les bras de Morphée. À vrai dire, c'était à se demander si elle n'avait pas complètement oublié à quel point cette journée était spéciale. Molle, engourdie, endormie, mordant et mâchant son sandwich, elle restait là en pyjama, jusqu'à ce que ...

« ... et meeeeeeerde ! »

Jusqu'à ce que son regard croise l'horloge du micro-onde, puis celle du four, puis la pendule du salon. Onze heure quarante-et-une, bien jouée Flann' la moitié de ta première journée d'aventure vient de te filer entre les doigts. Mais ça n'est pas vraiment cela qui l'embarrasse, après tout, le temps passer à dormir n'est jamais perdu à en croire son humble jugement.

« Merde merde merde merde merde ~ ! »

Chantonnant le juron comme un enfant de trois ans qui viendrait de l'apprendre, après s'être rapidement habillée, elle ouvrit grand la porte d'entrée et sautilla, les dents serrées, jusqu'à la boîte aux lettres. Car oui, elle avait reçu l'ordre d'être expressément levée avant dix heure ce matin, afin de réceptionner l'important colis que lui avait envoyé son père depuis Unys. Glissant un doigt, puis un oeil dans la fente du cube métallique, elle fut surprise d'y apercevoir un carton usé, pliés et dépliés, portant de multiples traces de négligences. Visiblement, le facteur n'avait pas eut envi de se compliquer la vie, et avait tout simplement pousser sur le paquet jusqu'à ce que celui-ci finisse par entrer dans la boîte à courrier. Elle récupéra donc le carton et s'en alla s'asseoir sur la petite terrasse devant l'entrée.

- Flann' papa t'aime, ce petit bonhomme fait parti d'un de mes élevages, c'est un doudouvet mâle, je crois, ce sont des pokémons plantes, maman t'as appris des trucs sur les pokémons plantes au moins ? Ou elle a pas été foutu d'en branler une ? Appelle le comme tu veux ! Gros bisous, et amuses toi bien !

PS : Donnes lui à manger.
PS2 : S'il est mort, attends que maman rentre à la maison et demande lui de t'emmener voir sa grosse morrue de mère à Acajou, je crois qu'elle a encore un florizard qui pond des oeufs. -

Écorchant le scotch avec ses doigts, la brunette s'empressa d'ouvrir la boîte, pinçant sa langue entre ses lèvres, preuve de la minutie et de la concentration dont elle tentait de faire preuve dans cette action.

« Aaaah ! ... ohoh ! De l'eau. Jeff, de l'eau ! »


Après une longue séance de réhydratation dans l'évier de la salle de bain, quelques graines et des croquettes spécialisées originairement réservées au tengalice, la petite boule de coton semblait avoir regagné un aspect un peu plus ... un peu moins ... plus vivant quoi, moins mort. Doucement mais sûrement, le petit bonhomme récupérait ses forces, et était actuellement occupé à rouler sur le sol du salon. Pendant ce temps Flannchadh et Jeffrey le regardaient, en sirotant un soda, de l'autre côté de la baie vitrée, qu'ils avaient laissé grande ouverte, comme deux adulescent gardant un oeil sur un nourrisson.

« Eheh, il est tout doux, tout rond ... »

Prenant ses joues entre ses mains, l'apprentie dresseuse semblait fascinée par chaque mouvement du jeune doudouvet. Soupirant, Jeff lui asséna un grand coup de feuille dans le dos avant de faire rouler ses yeux au ciel.

« Uh ? Ah oui, j'suis con ! Faut que j'lui trouve un nom, merci Jeff ... »

Haussant es épaules, le pokémon se mit a s'éventer lui-même pendant que la jeune fille abandonnait sa bouteille de soda pour entrer dans le salon. À genoux sur la moquette, elle attrapa le survivant, qui venait de se retrouver coincé sous un canapé, avant de le serrer contre son torse, puis de le frotter à ses joues. Le doudouvet ne sembla pas vraiment perturbé par le comportement de l'adolescente, juste un peu ... surpris ... agréablement surpris. Il faut dire que depuis le jour où ce drôle de bonhomme l'avait fourré dans un carton, il en avait vu des vertes et des pas mures ! Non sérieusement, ces dernières semaines n'avaient été que souffrances sur souffrances, et il ne devait très certainement sa survie qu'à un miracle, merci Arceus. Pourtant la boule duveteuse n'avait pas l'air de porter l'ombre d'un traumatisme. Non, il allait bien, il traînait, profitait de la gentillesse de ces nouveaux visages ... sa capacité d'adaptation était tout simplement incroyable. Il était relax, juste ... relax.

« Hm ... Shelton. Ça t'branche ça, Shelton ? »

Très prit par son nouveau passe-temps, à savoir, rester en équilibre sur le crâne de Flann', sport qu'il maîtrisait à merveille, le doudouvet sembla s'accorder à l'opinion de sa ... dresseuse. Car oui, il fallait se faire à cette idée : Flann' était la dresseuse de Shelton. Et heureusement pour elle, Shelton n'était vraiment pas compliqué. Il semblait se réjouir de tout ... bon, lorsqu'on y pense, son existence n'avait sûrement jamais rien eu de bien palpitant, et les possibilités que lui offrait sa nouvelle vie de compagnon de route semblait être la récompense divine liée au calvaire de la boîte. Oui, il n'y avait plus aucun doute à présent, Shelton était un martyr, le martyr des doudouvets, et il se devait de profiter de l'avenir qui s'offrait à lui, en compagnie de cette charmante demoiselle qui avait passé les dernières heures à lui sauver la vie, puis à le regarder s’habituer à elle et à sa manie de le câliner, qu'il ne détestait franchement pas.

« Hey, Shelton. Il est déjà dix-sept heures, on y va ? »

Le sac à dos soigneusement préparé la veille armé sur l'épaule, le bras tendu en direction de la boule de coton, la jeune dresseuse tape du talon afin de finir d'enfiler ses chaussures. Caressant vivement le duvet de son camarde maintenant confortablement installé au sommet de sa tête, Flannchadh se lève, elle pourrait attendre quelques heures encore, que sa mère rentre, et lui présenter Shelton, elle pourrait même attendre, et partir demain ... mais elle se lève. Elle traverse le salon, franchit la baie vitrée, descend de la terrasse, marche dans le jardin, pousse le portillon.

« J'te laisse fermer derrière moi, Jeff ! »

Doucement, elle s'éloigne dans l'allée, sa silhouette se fait de plus en plus maigre, de plus en plus petite, alors que dans un grincement, le tengalice pousse le portillon, rentre dans la maison, referme la baie vitrée, commence à ranger les coussins ... en vérité, Jeff a toujours beaucoup aimé Flann'. C'est lui qui, lorsqu'elle était bébé, pouvait la retrouver n'importe où, n'importe quand, et ce malgré les endroits incongrus où elle aimait se cacher pour faire la sieste, et c'est lui qui, jusqu'à aujourd'hui, la portait au lit lorsqu'elle s'endormait sur ce canapé ...

Au loin, une silhouette se retourne, admire les tuiles rougeâtres d'une vieille maison rustique, avec nostalgie ... puis laisse glisser ses yeux sur le toit de la maison voisine, plus moderne. Une maison dans laquelle vivait quelqu'un d'important. Déterminée, Flann' rentre les mains dans les poches et sourit, reprenant son avancée. Elle a beaucoup de choses à faire, et tout commence avec un doudouvet qui s'appelle Shelton.